QD & Moi – Ingrid Sanassee – Motion Kit Lead
Quantic Dream est un studio français de jeux vidéo, qui rassemble des employés aux profils très différents, aux origines géographiques et expériences professionnelles diverses et variées. Pour le premier épisode de cette série de posts consacrés aux employés de Quantic Dream, faites la connaissance d’Ingrid, Motion Kit Lead.
Quantic Dream : Bonjour Ingrid, peux-tu te présenter ? D’où viens-tu, et quel rôle joues-tu à QD ?
Ingrid S. : Je suis Ingrid Sanassee, je viens de l’île Maurice, un petit pays dans l’Océan Indien. J’ai rejoint l’équipe de Quantic Dream en 2011, en tant qu’animatrice gameplay et récemment, je suis devenue animatrice Lead Motion Kit.
QD : Comment t’es-tu retrouvée à travailler dans l’industrie des jeux vidéo ? Était-ce un rêve de longue date, ou l’as-tu intégrée un peu par hasard ?
Ingrid S. : Je suis têtue comme une mule. Je pense que j’ai toujours voulu travailler dans un domaine artistique, ou multimédia en tout cas. Je me souviens, à l’île Maurice, du jour où mon cousin m’a montré le premier ordinateur de la famille. À cette époque, c’était très rare d’avoir un ordinateur chez soi dans mon pays. Alors quand j’ai vu son tout nouveau PC, j’étais surexcitée ! (rire) Je suis tombée amoureuse de cette machine et de toutes les possibilités qu’elle offrait. C’était vraiment incroyable. Mon cousin m’a fait découvrir des jeux comme Wolfenstein et Doom, mais le déclic est vraiment arrivé en jouant à Tomb Raider, mon premier jeu d’aventure à la troisième personne. Ce qui m’a le plus impressionnée, c’était non seulement de voir cette héroïne se déplacer de manière aussi fluide, mais surtout les crédits de fin. Après le gros « FIN », j’étais dans un état second, je me demandais à quoi faisaient référence tous ces noms à l’écran, accompagnés de titres assez mystérieux. Il n’y en avait pas tant que ça, mais assez pour réaliser que ces noms étaient des personnes bien réelles qui avaient imaginé et créé ce jeu. Je me souviens, tard ce soir là, à la table du dîner, j’ai dit à ma mère que c’était ce que je voulais faire, des jeux vidéo, et vous savez ce qu’elle m’a dit ? « D’accord, d’accord… Allez, finis ta purée maintenant… » (rire)
Plus tard, au lycée, j’ai eu la chance de pouvoir faire des études à la fois scientifiques et artistiques, parfaites pour ce que je voulais faire. Après avoir obtenu mon diplôme en Arts et Mathématiques en 2001, j’ai trouvé une petite annonce dans un journal pour un poste dans un célèbre studio d’animation 3D français qui ouvrait des bureaux à l’île Maurice et cherchait des candidats pour rejoindre leur équipe d’animation et de création. Ils offraient également une formation aux débutants comme moi. Et voilà ! J’ai décroché mon premier travail avec le studio TropikAnim un mois plus tard. Pour ceux qui ne connaissent pas, TropikAnim faisait partie du studio Gribouille à l’époque, le premier studio à avoir utilisé la capture de mouvements et la 3D pour des émissions de télé en France. Ils ont écrit la série d’animation Xcalibur avec Phillipe Druillet, un de mes dessinateurs de BD préférés. Pendant la période que j’ai passée avec eux, j’ai pu voir la bande-annonce, avec des graphismes, des animations et des effets spéciaux incroyables. J’étais toute folle. Une semaine plus tard, j’ai débuté ma première formation en animation et j’ai travaillé avec eux en tant qu’animatrice pendant plus d’un an. C’était mes toutes premières expériences en animation 3D et en capture de mouvement.
Puis en 2002, j’ai décidé de suivre une partie de l’équipe française en France pour, comme on dit, suivre mes rêves d’Europe. En plus d’avoir été formée dans l’art lors de mes études, j’avais ce besoin d’apprendre tout ce que je pouvais, et mon défi était de réussir « par mes propres moyens ». J’ai passé beaucoup de temps à apprendre l’animation 2D et d’autres techniques, ainsi que le modelling, la composition, la programmation (une de mes activités préférées aujourd’hui) et bien plus. C’est aussi l’époque où, avec mon ancien compagnon, Pascal Lefort (actuellement Directeur artistique technique sur Paper Beast), on a décidé de créer PakingProd, qui nous permettait de collaborer avec des artistes contemporains comme Kolkoz ou André sur plusieurs projets artistiques, comme des films, des clips vidéo ou des magazines web. Pascal et moi avons passé 4 ans à travailler ensemble sur de nombreux projets passionnants, amassant de plus en plus d’expérience, et cela a été un tournant dans ma carrière.
Mon CV devenait de plus en plus attractif, et je me suis enfin sentie prête à rejoindre Ubisoft à Montpellier sur le jeu Beowulf. C’était ma première expérience professionnelle dans un studio de jeux vidéo, mon rêve d’enfance se réalisait enfin.
Après quelques mois, j’ai déménagé à Paris pour rejoindre Darkworks, les développeurs de Alone in the Dark 4 et Cold Fear, où j’ai travaillé comme Anim Lead sur le jeu I am Alive pendant les 5 années qui ont suivi. Et cette année, je fête ma huitième année avec Quantic Dream !
QD : Parles-nous de ton travail à Quantic Dream ! Peux-tu nous en dire plus sur ton rôle, et celui de ton équipe ?
Ingrid S. : Je suis chargée de la partie gameplay au sein de l’équipe d’animation (ce qu’on appelle Motion Kit). Nous nous occupons de la locomotion du joueur et de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire qu’on définit comment ils bougent et interagissent dans les scènes jouables des jeux.
Ce processus est composé de différentes étapes. Il faut d’abord définir QUI sont les personnages. Quelles sont leurs personnalités, et comment s’expriment-elles en marchant, en courant, en combattant, comment différencier les différents personnages et les rendre uniques et mémorables ? Mon équipe et moi-même travaillons de paire avec l’équipe de Création, David Cage, les équipes de conception, de système de tir et artistiques, afin de définir les modèles et d’avoir une vision claire et parfaite de l’identité des personnages du jeu. Je me souviens des nombreuses heures passées avec Benjamin Diebling sur Detroit: Become Human, à observer le comportement des gens, à discuter de l’ambiance d’une scène et essayer de trouver les meilleures silhouettes, comme dans le motion kit de Luther tenant Alice dans ses bras ; et avec Gregorie Diaconu, qui remettait nos idées en question pour nous pousser à transmettre le mieux possible l’intensité du jeu, à travers un gameplay surprenant et unique.
Deuxièmement, nous avons la question du QUOI, ou quelles animations sont requises : d’abord pour simplement faire bouger un personnage, un animal ou un véhicule d’un point A à un point B, et ensuite quelles animations supplémentaires sont nécessaires pour les distinguer. Nous commençons par prendre des notes sur leurs états de locomotion. Par exemple, les états basiques sont : quand un personnage ne bouge pas, il doit avoir un état au repos, et être capable de commencer à bouger dans n’importe quelle direction avant de marcher ou d’aller faire du vélo. Pendant cet état de mouvement, il doit pouvoir équilibrer le poids de son corps pour tourner dans des directions précises. Et voici quelques états additionnels : en marchant à côté d’une chaise, Connor la pousse du dos de la main, il joue avec une pièce lorsqu’il n’est pas en mouvement, et Kara évite les objets sur le sol au lieu de trébucher dessus. Connaître ces différents états nous permet de comprendre quelles animations spécifiques nous devons enregistrer lors de la capture de mouvement, ou encoder dans notre outil d’animation 3D.
Et enfin, il y a la question du COMMENT, la partie technique du rôle de l’équipe. Comment on arrive à faire fonctionner tout ça en jeu. Pour ça, nous travaillons avec une machine appelée Dynamo. Elle nous permet de connecter ces différents états entre eux et de les déclencher en fonction de certaines conditions. Par exemple, quand le joueur touche le Joystick, on peut passer d’un état de repos à un état de mouvement. Quand le joueur change la caméra en jeu, le personnage peut bouger les yeux et la tête pour regarder autour de lui dans la direction de la caméra. Ou encore, quand vous appuyez sur la touche X, votre personnage peut sauter ! Et avec les programmeurs gameplay et animation (la meilleure équipe !), on travaille super dur pour mettre en place des systèmes puissants et des techniques en temps réel qui nous permettent d’atteindre la meilleure restitution de mouvement possible.
QD : Dis-nous en plus sur les membres de ton équipe. As-tu quelques anecdotes ?
Ingrid S. : Vous avez quelques heures devant vous ? 🙂 Okay, passons directement à la plus drôle !
Un jour, mon collègue Maxime Brochen a littéralement trébuché sur tout une installation de caméras et l’a faite tomber en tentant de ralentir un cascadeur qui courrait pendant le tournage de la scène de tir/parkour de Markus pour le jeu Detroit. Ça nous a rajouté une heure de tournage parce que Florence Fournier a dû recalibrer le set, mais au moins, on a bien rigolé !
Je me souviens aussi de l’expression du co-PDG Guillaume de Fondaumière quand il a ouvert la porte d’une salle de réunion qu’on avait secrètement transformé en serre, dans laquelle l’équipe d’animation et Angeline Liot, notre Anim Lead, ont décidé de faire pousser une jungle tropicale. Il est resté planté là un moment, avant de fermer la porte et de dire : « D’accord, je vais trouver une autre salle de réunion. » Il nous a ensuite attribué toute une partie des jardins de Quantic Dream pour qu’on puisse y faire pousser des légumes. Et une dernière pour la fin : si vous voyez des gens bizarres qui courent après des pigeons dans la rue pour les filmer, c’est probablement nous ! Ou quelqu’un qui travaille sur un motion kit avec des pigeons ! J’ai passé plein de super moments avec l’équipe.
La plupart du temps, chaque jour est différent ! Mais ce qui ne change pas, c’est mon habituel café du matin dans le patio des bureaux de Quantic Dream en arrivant au travail.
QD: Peux-tu nous décrire ta journée type ? Est-ce que ça existe pour toi ?
Ingrid S. : La plupart du temps, chaque jour est différent ! Mais ce qui ne change pas, c’est mon habituel café du matin dans le patio des bureaux de Quantic Dream en arrivant au travail. Ensuite, c’est l’heure de vérifier le dernier prototype, de voir s’il y a des bugs ou des animations à améliorer, définir les objectifs du jour de l’équipe et mettre à jour l’historique avec les outils, les fonctionnalités et les projets en cours. Ensuite, je me donne un peu de temps quotidiennement pour me mettre à jour sur les dernières technologies, je partage ensuite ces infos et j’en discute avec mes collègues en recherche et développement ou en animation. C’est important pour moi de faire ça, car ça permet de garder l’esprit ouvert et de progresser ensemble en équipe. Les après-midis sont assez chargés, il y a des réunions de suivi toutes les semaines, et on doit corriger nos motion kits et produire des animations !
Mais le lundi et mercredi après-midi, c’est plutôt détendu à Quantic. À la fin de la journée, on peut voir « l’équipe de running » s’échauffer dans les bureaux. Environ 10 Quanticiens courent ensemble dans un parc près du bureau et reviennent ensuite une heure plus tard. C’est sympa de les voir faire ça tous ensemble. Et si vous avez la chance de passer à Quantic Dream les lundis soir, vous pourrez entendre de la super musique live ! C’est le jour où nous avons des jam sessions !
Et, pendant l’été, certains d’entre nous ont une mission très importante : arroser le potager de légumes (vous savez, la jungle tropicale là) ! On récolte les légumes régulièrement et on les partage avec les gens du studio. Imaginez nos réunions l’été, dans le patio, à discuter animation avec une assiette de tomates Quantic fraîchement récoltées et du pain fait maison ! Ces moments n’ont pas de prix !
Quantic Dream : Certaines de tes inspirations extérieures se reflètent-elles dans ton travail ?
Ingrid S. : Oui, le ballet et la danse en général. Je suis une grande fan du mouvement. La danse, pour moi, c’est l’expression de tous les mouvements possibles qu’un corps peut faire. Chaque mouvement est très précis, chorégraphié et préparé d’une façon très spécifique pour exprimer une vision d’ensemble. C’est une sorte de puzzle où chaque pièce est ajoutée l’une après l’autre afin de créer une combinaison parfaite. Je considère les chorégraphes contemporains Caroline Carlson, Pina Bausch, Akram Khan ou Jiri Kylian comme des génies.
Pour l’aspect technique, je dois dire que j’aime beaucoup les gens qui aident à faire progresser la locomotion dans les jeux vidéo, qui partagent leurs idées et leurs techniques et qui sont prêts à en discuter avec la communauté d’animation. Parmi eux, il y a par exemple Daniel Holden et Micheal Buttner, qui changent la façon dont la locomotion est créée pour les jeux vidéo. Et d’autres comme Dan Lowen, Jonathan Cooper et Ryan Duffin qui sont très actifs dans la communauté et avec lesquels il est très inspirant de partager des idées.
Quantic Dream : Voici une grande question… Quels sont tes jeux préférés ?
Ingrid S. : Ah oui, une très grande question ! Je pourrais dire le premier Tomb Raider par nostalgie, mais trois jeux me viennent immédiatement à l’esprit : Okami, Shadow of the Colossus et Journey !
Je suis aussi une grande fan des jeux indépendants un peu plus atypiques. Year Walk, Unexplored, Gris (bien sûr !) ou Plug & Play sont le type de jeux que j’affectionne particulièrement. Les deux derniers jeux indépendants mémorables auxquels j’ai joué sont Sea of Solitude de la créatrice Cornelia Geppert et DARQ de Wlad Marhulets, un ancien cinéaste qui est devenu développeur solo. Ces deux jeux sont clairement dans mon top 5.
Quantic Dream : Dis-nous en plus sur tes intérêts en dehors du travail.
Ingrid S. : Alors, tous ceux qui me connaissent savent qu’en rentrant chez moi, je passe encore bien 4 heures sur mon travail personnel. En dehors du travail, j’ai BEAUCOUP de projets, qui vont de la programmation à la création de shaders ou de musique, mais les plus avancés se concentrent sur comment donner une forme au mouvement, et plus précisément à mes mouvements de tous les jours. Un de ces concepts s’appelle Sismograffitis. Ce sont des formes dessinées à la main durant mes voyages. Je place simplement un stylo à encre au-dessus d’une feuille de papier et je laisse les secousses de la voiture, du bus, du bateau ou de l’avion décider de sa trajectoire. Est-ce que ça paraît bizarre ? TagCards revient au même mais c’est entièrement basé sur du code. J’ai créé ma propre application, qui enregistre mes mouvements quotidiens (marcher jusqu’au bureau, aller à une soirée, danser, regarder un ballet) et qui utilise les données pour générer un dessin en 2D. Je travaille actuellement sur une version 3D et prépare en parallèle un outil de dessin qui se base sur des données audio. Vous pouvez retrouver certaines parties de ces projets sur mes profils de réseaux sociaux.
Quantic Dream : OK ! À quoi ressemble ton vendredi soir idéal ?
Ingrid S. : Pour moi, le vendredi parfait après une longue semaine de travail, c’est passer un moment de détente sympa avec mes collègues. L’été, ce serait dans la cuisine du bureau ou dehors dans le patio. L’hiver, dans un bar du quartier. On passerait de longues heures à discuter de nos projets individuels, des derniers films qu’on a vus ou des jeux auxquels on a joué. Histoire de bien commencer le weekend !
Quantic Dream : As-tu un message pour nos lecteurs ?
Ingrid S. : Tout d’abord, j’aimerais faire un gros CÂLIN à tous nos fans. Ils sont incroyables ! Leur soutien pour nos jeux et pour le studio est inestimable, et cela encourage l’équipe à repousser ses limites. Même si on ne peut pas répondre à tout le monde, j’aimerais leur dire qu’on les aime. MERCI mille fois pour votre soutien ! Et pour tous ceux qui aimeraient un jour travailler dans le milieu des jeux vidéo, n’hésitez pas à nous contacter si vous avez des questions ou des doutes ! Nous sommes toujours ravis de pouvoir vous aider !
Quantic Dream : Dernière question ! Gâteau au chocolat ou tarte aux fruits ?
Ingrid S. : Dholl Puri ! 🙂 Désolée, il faut visiter mon pays pour découvrir ce que c’est ! Mais je vous promets, c’est un plat qui va vous bluffer !
Quantic Dream : Promis, on va goûter !
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Pictures by Julien Braconnier